Comme enseignante, j’ai tout avantage à savoir qui sont mes élèves. Puisqu’une bonne communication est essentielle à l’apprentissage, je m’efforce d’adapter mon message à la réalité de chacun et de recourir à des concepts évocateurs. Ainsi, apprendre à connaître son système nerveux peut être une expérience déroutante, mais en utilisant l’analogie comme outil pédagogique, je peux faciliter le processus de transformation d’un élève.
La clé est de choisir des mots et des expressions qui « parlent » à chaque personne. Il n’existe pas de méthode universelle pour enseigner le mouvement. Un seul mouvement peut être enseigné et interprété de toutes sortes de manières. Pour comprendre la relation qu’ont mes élèves avec le mouvement, je m’applique à comprendre leur vécu et leur façon de percevoir le monde.
Par exemple, je parle de physique et de leviers avec les ingénieurs; de sport et de jeu avec les athlètes; de qualité du mouvement et de rythme avec les danseurs; de lumière et de points cardinaux avec les architectes paysagistes.
Il y a quelques années, je discutais avec une élève – une architecte paysagiste réputée – des sillons que crée le système nerveux lorsqu’un comportement est répété. Pour l’aider à comprendre, j’ai comparé ces sillons aux sentiers qui se créent avec le temps dans les champs ou les parcs. Plus une habitude s’installe, plus les sillons se creusent dans le système nerveux, de la même manière qu’un sentier devient plus visible dans le paysage à mesure qu’on le parcourt. Parfois, le sentier est tellement bien tracé qu’il devient la voie à suivre par défaut, au point où l’on oublie les autres options possibles. C’est l’effet de l’usure naturelle, et c’est exactement ce qui se passe dans notre corps et notre système nerveux.
En guise d’analogie, je lui ai demandé de réfléchir au processus d’aménagement paysager. Quels éléments dictent le processus de création? La manière dont les gens utilisent l’espace? Les itinéraires qu’ils empruntent? Les sentiers qui se dessinent au fil du temps? Peut-on construire un tout nouveau chemin et espérer que les piétons changeront leurs habitudes? Sa réponse était prévisible : la première étape consiste à analyser les lieux afin d’observer les habitudes des gens et d’en tenir compte.
J’ai appris ce jour-là que ces sentiers créés par les piétons ont un nom. On les appelle les « Lignes de Désir ». N’est-ce pas fabuleux?
Je l’ai donc invitée à analyser ses lignes de désir intérieures et à se permettre de créer de nouvelles trajectoires de mouvement. Bien sûr, un enseignant peut proposer des correctifs, ce qui procure une satisfaction à court terme. Mais à long terme, il y a des chances que les voies neuronales coupent les coins ronds et reprennent leurs vieilles habitudes (les voies neuronales sont les Lignes de Désir du cerveau).
Afin de prévenir une régression vers les voies bien tracées d’autrefois, il faut tracer les nouvelles trajectoires dans la douceur et la simplicité. Les anciennes trajectoires ont été utiles et le seront peut-être encore un jour, mais les nouvelles, plus fonctionnelles, doivent devenir un choix naturel et plus attrayant.
Lorsqu’un enseignant propose des correctifs, l’élève peut ressentir de la tension ou du stress. La pression de bouger « correctement » le maintient dans un carcan qui l’empêche d’explorer d’autres avenues et de trouver sa voie. Une approche corrective est parfois utile, par exemple dans un cours de danse où les participants sont nombreux et le temps limité. Je préconise toutefois une approche conviviale. En aidant mes élèves à vivre l’instant présent et à être à l’écoute d’eux-mêmes, j’ose espérer que la curiosité prend le pas sur la frustration dans la démarche d’apprentissage. Je les invite à parfaire leur relation avec l’intelligence du corps et sa capacité à trouver un équilibre, plutôt qu’à se fier à une figure d’autorité pour s’améliorer.
La prochaine fois que vous ferez la planche, prenez note du côté que vous avez tendance à favoriser (le bras sur lequel vous mettez le plus de poids). Nous avons tous un côté favori. L’humain n’est pas symétrique et ses mouvements non plus. Sentez-vous cette asymétrie? Dans l’affirmative, je vous invite à exagérer votre posture habituelle. Cette proposition surprend souvent mes élèves, à qui je réponds : « Vous avez la permission de faire le mouvement tel que vous l’avez toujours fait afin que le système nerveux constate la différence. » Ensuite, mettez l’accent sur l’autre côté et envoyez cette information au cerveau. Pour terminer, trouvez le juste milieu. Vous verrez qu’à cette étape, c’est presque un jeu d’enfant.
Le système nerveux est intelligent. C’est pourquoi je préfère guider mes élèves vers une meilleure conscience de soi, plutôt que de donner des instructions du haut de mon statut d’autorité. Ainsi, non seulement ils « apprennent à apprendre », mais ils découvrent leur propre méthode d’apprentissage. De temps en temps, je leur donne plus d’information, mais ce que je veux surtout, c’est qu’ils développent ce « muscle » important qu’est la perception. Qu’ils essaient des choses et qu’ils soient à l’écoute de ce qu’ils ressentent.
Lors des cours en groupe, comme les cours de Pilates, on manque parfois de temps pour entrer dans les détails et il m’arrive de corriger des postures de manière plus conventionnelle. Mais dans la mesure du possible, je guide mes clients vers l’introspection afin qu’ils se fient à leurs sensations et non à mon approbation. En développant une meilleure conscience d’eux-mêmes, ils pourront devenir leur propre professeur, peu importe le sport ou l’activité qu’ils pratiquent.
Réapprendre à faire un mouvement peut être une expérience fort agréable lorsqu’on travaille à partir d’une trajectoire connue. Au lieu de vous imposer un parcours, prenez acte de vos habitudes et faites-en votre base de travail pour créer vos nouvelles trajectoires. Concentrez-vous sur les sensations et non sur les apparences.
À quoi ressemblent vos Lignes de Désir? Ces schémas qui vous ont été utiles, mais qui ne le sont peut-être plus? Ces raccourcis que vous avez pris pour éviter des lieux appréhendés?
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Crédits photo: Oda Aase Johnsen